Sunday, March 04, 2007

Le grand écart de la presse algérienne

Comment la presse algérienne arrive-t-elle à concillier sa dénonciation (même molle) du pouvoir en Algérie, son accaparation par les clans de l'armée, à dénoncer l'autoritarisme aigu du président Bouteflika, à dénoncer la mainmise d'une mafia politico-financière sur les énormes richesses naturelles sur pays, à dénoncer la corruption qui gangrène l'Etat jusqu'au sommet jusqu'à devenir la seule façon de faire marcher les choses, dénoncer (brutalité, arbitraire, torture, enlèvements, disparitions, et exécutions sommaires) la façon dont les militaires ont mené la "lutte anti-terroriste" - , dénoncer la mise au pas et au silence de la presse par le pouvoir, et en même accueillir avec un optimiste béat la coopération de ce régime avec l'administrtaion Bush. Comment la presse peut-elle applaudir des deux mains, sans réserve, sans nuance et sans aucun recul, le resserement des liens au plus haut niveau entre les militaires algériens et les militaires américains.
Ces derniers jours, visite en Algérie de Karen Hughes, sous-secrétaire d'Etat à la diplomatie publique - en fait secrétaire d'Etat à la propagande - et la presse y va encore de sa couverture plus qu'approbatrice de cette visite et des objectifs déclarés de cette visite.
Lors de la visite des différents hauts responsable américains en Algérie, leurs déclarations sont reprises telles qu'elles quasiment comme des paroles d'évangiles. Quand Karen Hughes déclare que "Les leçons à tirer de l’expérience algérienne dans la lutte antiterroriste sont très importantes pour nous". C'est ainsi que le journaliste d'El-Watan débute son article sur le sujet. Que fait le journaliste quand elle nous parle de biographie de Karen Hughes ? Elle prend l'officielle, celle diffusée par le département d'Etat. Pourquoi se casser la tête, n'est-ce pas ? Il y a une plus édifiante pourtant.

L'article de Liberté a comme lead : "En visite en Algérie, Karen Hughes a été accueilli par le ministre Mohamed Bedjaoui avec qui elle a abordé les questions de coopération entre Alger et Washington dans la lutte contre le terrorisme.".

Le plus édifiant, c'est l'éditorial (25 Février 2007) de Liberté :
(...) Aujourd’hui, si la communauté internationale sollicite la coopération d’Alger dans la guerre contre le terrorisme international, c’est tout simplement parce que l’expérience acquise par l’Algérie dans ce domaine demeure un cas d’école.(...)
Dans une situation normale, en dehors de cette amnésie (volontaire) qui frappe la presse algérienne quand elle se trouve devant des responsables américains, la question sur la lutte contre le terrorisme en Algérie ferait vite ressortir des questions que tout algérien se pose : la question de la torture, la question des enlèvements, des disparitions, des exécutions sommaires, et des multiples zones d'ombres qui restent concernant l'implication des forces de sécurité ou du moins leur passivité dans les massacres. Se pose aussi d'emblée la question de la "propreté' d'une lutte contre le terrorisme menée par les militaires algériens, c'est à dire par un pouvoir coorrompu,rapace et dictatorial. Comment est-ce possible que des journalistes (que les journalistes à l'unanimité presque) puisse se montrer "fiers" de l'expérience algérienne en matière de lutte enti-terroriste et "fiers" que cette expérience puisse intéresser le pire gouvernement qui puisse exister dans le monde, à savoir les Etats Unis. Un état qui vient de légaliser la torture.


C'est quoi la lutte contre le terrorisme ?
L'expression "lutte contre le terrorisme" ne recouvre pas du tout les mêmes choses en Algérie et aux Etats Unis. Pour les algériens, les terroristes c'est ceux qui tuent des innocents, qui tuent des journalistes juste parce qu'ils sont journalistes, qui tuent des intellectuels juste parce qu'ils pensent, des bergers parce qu'ils n'ont pas pris position, qui éventrent des femmes enceintes, qui égorgent des pères et des mères devant leurs enfants, qui tuent de simples citoyens juste parce qu'ils ne veulent pas les soutenir. Pour les américains, les resistants en Palestine c'est des terroristes, les résistants en Irak c'est des terroristes, les résistants au Liban c'est des terroristes. Pour les américains quand Israel lance sa cmpagne d'agression contre le sud-Liban, ca rentre dans le cadre de la lutte anti-terroriste. La chef de Karen Hughes, c'est à dire Rice a déclaré lors de la guerre contre le Liban qu'il fallait pas de cessez le feu tout de suite car Israel fait un travail (lutte contre le terrorisme - Hezbollah) qu'il faut faire. Le nettoyage ethnique qu'opère Israel à Gaza et la construction du mur en Cisjordanie font aussi partie de la lutte anti-terroriste qu'Israel mène avec le soutien total des Etats Unis. Comment font ces journalistes pour en même temps être un soutien à la cause palestinienne et au Liban, dénoncer le terrorisme d'Israel, et en même temps bénir la coopération algéro-américaine dans la lutre anti-terroriste. Coopérer avec le plus anti-arabe et le plus anti-musulman des gouvernements US.

La presse algérienne et la visite de Rumsfeld en Algérie
En février 2006, Donald Rumsfeld a effectué une visite an Algérie, toujours dans le cadre de la coopértaion militaire entre les deux pays et bien sûr la lutte antiterroriste. Aucun journal algérien n'a dénoncé cette visite, malgré tout ce qui a été révélé sur le sinistre personnage de Rumsfeld et sa politique de torture en Irak. Rumsfeld est un artisan majeur et responsable parmi les premiers du cauchemar dans lequel est plongé l'Irak, de la mort de centaines de milliers d'irakiens, du pillage des ressources de tout un peuple, et pas un mot de tout ça dans toute la presse algérienne. Bien au contraire, les articles étaient d'un élogieux sans faille. Ah vous vous rendez compte, même le secrétiare d'Etat de la première puisance mondiale s'interesse à "notre expérience de lutte anti-terroriste" et veut coopérer avec notre armée.

Sarkozy vs. Rumsfeld
En décembre dernier, Nicolas Sarkozy effectua une visite de deux jours en Algérie, voiçi ce qu'écrivait Fayçal Métaoui dans El Watan le 13 novembre 2006, dans un article intitulé "
« La racaille » et le démago" : (je cite en longueur)
(...) Lorsqu’il avait prononcé l’insultant « racaille » à propos de la jeunesse en colère des banlieues défavorisées, des voix s’étaient élevées pour dénoncer un discours qui rappelle la culture raciste de l’extrême droite. Ministre au gouvernement de Villepin, Azouz Beggag, sociologue et écrivain d’origine algérienne, a invité son collègue à plus de retenue. Sans rougir, Sarkozy a invité Beggag à « se la fermer ». « Parce qu’un sous-ministre issu de l’immigration, Azouz Beggag, osait s’interroger sur l’inadéquation de cette injure (“racaille”, ndlr), une véritable meute de loups sarkozystes, la bave aux lèvres, se sont rués sur la “crapule”, pour le déchiqueter tous crocs dehors », écrit l’éditorialiste de Marianne, l’un des rares hebdomadaires à oser « la critique » du surmédiatisé ministre de l’Intérieur. Ministre qui, au mépris des standards internationaux des droits humains, a déclaré que les mineurs multirécidivistes, de 16 à 18 ans, devaient être punis « comme s’ils étaient majeurs ! » Aux jeunes de l’UMP, Sarkozy tient ce discours chocolaté : « La jeunesse ne doit jamais s’avouer vaincue (…) La France a besoin des rêves et des désirs de sa jeunesse. » « Y a comme un goût de démago dans la bouche de Sarko », chante la rappeuse Diam’s. C’est que le milieu artistique a plus d’audace à affronter « le système Sarko » et a rappelé que le policier en chef avait promis de « nettoyer » les cités black-beur au « Kärcher ». Dans La Face karchée de Sarkozy, publié récemment aux éditions Vents d’ouest - Fayard, Philippe Cohen, Richard Malka et Riss dressent le portrait de l’homme : « Un véritable personnage de BD. » L’élimination féroce de ses rivaux y est évoquée. Tout le monde le sait : Sarkozy, en avocat rusé, n’a pas hésité un seul instant à passer d’un camp à l’autre, à monter les uns contre les autres, à changer d’amis comme on change de chemises... Charles Pasqua, Edouar Balladur, Jacques Chirac, Alain Juppé, Dominique de Villepin, tout le monde est passé. Pis, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à mettre en difficulté la politique extérieure de son pays. (...)
(...) Il a critiqué l’attitude « arrogante » de la France par rapport à l’engagement des forces US en Irak. En visite aux Etats-Unis, il a déclaré : « Jamais on ne doit chercher à mettre ses alliés dans l’embarras. On ne doit jamais donner l’impression de se réjouir des difficultés de nos alliés », avait-il lancé (...)
(...) Sarkozy aime l’Amérique. Ses arguments : « Un pays avec lequel nous avons lutté pour éradiquer le nazisme et avec lequel nous luttons aujourd’hui pour vaincre le terrorisme international », a-t-il confié au quotidien Le Monde (...)
(...) L’effondrement récent du parti républicain, le parti de George W. Bush, lors des récentes élections de Mid-term, son camp naturel, n’a pas suscité en lui une réaction. (...)
(...) Il estime que le programme nucléaire de l’Iran est un danger, qu’Israël à « le droit » de se défendre lorsque l’Etat hébreu avait attaqué le Liban. (...)

Voilà ce qu'écrivait le même Fayçal Métaoui le 7 novembre 2006 (cinq jours avant la visite de Sarkozy) cette fois-çi concernant la visite du sous-secrétaire d'Etat US à la défense, dans un article intitulé : "Le nucléaire algérien ne pose pas de problème".
En lead :(...)
Les Etats-Unis ne veulent pas installer des bases militaires ni en Algérie ni dans toute la région, Sahel y compris. C’est ce qu’a annoncé, hier, lors d’un point de presse à la résidence de l’ambassadeur américain à Alger, Peter W. Rodman, secrétaire adjoint à la Défense pour la sécurité internationale, en visite de 48 heures en Algérie.(...)
Puis (...) « Nous voulons augmenter les capacités des forces locales, pas ouvrir des bases », a-t-il déclaré. Selon lui, le Pentagone réfléchit à créer un commandement des forces américaines en Afrique, à l’image de l’Eucom de Stuttgart pour l’Europe, mais aucune décision n’a été prise encore pour concrétiser le projet. Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, a chargé des experts pour plancher sur le dossier. Peter W. Rodman, venu à Alger accompagné d’experts, a coprésidé avec le général-major Ahmed Senhadji, secrétaire général du ministère de la Défense nationale, la deuxième réunion du Dialogue militaire conjoint (Joint Military Dialogue, JMD), après celle de Washington en 2005.(...)
(...) Le MDN, dans un communiqué rendu public, a évoqué ce « dialogue conjoint » sans en détailler la teneur. De quoi s’agit-il ? « Nous évoquons les exercices militaires communs, les échanges d’informations, les achats d’équipements militaires, les échanges d’officiers. C’est également une occasion d’évoquer les intérêts stratégiques des deux pays et d’échanger nos points de vue sur la situation au Moyen-Orient », a précisé Peter W. Rodman qui, par le passé, fut vice-président du Conseil national de sécurité des Etats-Unis. S’il ne veut parler des détails techniques, l’adjoint de Donald Rumsfeld a reconnu la disponibilité de son pays à vendre des équipements militaires mais cela se fera d’une manière graduelle. « Les procédures à Washington sont compliquées. Il y a une législation du Congrès à respecter avant de prendre toute décision de vente », a indiqué Peter W.Rodman (...)
(...) Peter W. Rodman a préféré rappeler la position officielle de Washington, celle de n’opposer aucun refus au développement de l’énergie nucléaire civile. « C’est ce que nous avons dit aux Iraniens. Nous n’avons aucun problème avec des pays qui respectent leurs engagements internationaux et qui ne développent pas des programmes atomiques dans le secret. Cela ne concerne pas l’Algérie. Nous craignons que l’attitude de l’Iran encourage d’autres pays à engager des projets similaires. Il y a risque de prolifération », a-t-il déclaré (...)
(...) « Pour mon gouvernement, la lutte contre le terrorisme n’est pas une guerre américaine contre l’Islam. C’est une lutte des peuples civilisés contre les fondamentalistes. Les Etats-Unis sont fiers d’avoir des pays amis dans le monde arabe qui coopèrent dans cette lutte. Et les pays arabes sont dans la ligne de front dans ce combat », a-t-il ajouté (...) ...(...) La venue de Peter W. Rodman à Alger est la deuxième, en importance, après celle de Donald Rumsfeld en février 2006. (...)


On peut remarquer que le journaliste rapelle deux fois que Rodman est le numéro deux du Pentagone et à la fin il rappelle le caractère important de cette visite (après celle de Rumsfled) comme s'il voulait souligner la fierté que les algériens doivent ressentir d'attirer ainsi l'attention des plus hauts reponsables US. Le fait que ce soient des assassins et des tortionnaires n'a pas d'importance. Seule compte le statut d'hyperpuisance des USA.
Encore mieux, on peut l'article de Fayçal Métaoui lors de la visite de Rumsfeld en Algérie. Il n'est pas intitulé "Le terroriste et le tortionnaire". Dommage car on peut reprocher tout ce que reproche Métaoui à Sarkozy, ce qui peut être reproché à Rumsfeld est hors catégorie : Assassin, tortionnaire, voleur, menteur, etc ... Et le pire c'est que Métaoui reproche à Sarkozy sa défense de la politique de Bush, c'est à dire celle de Rumsfeld.

C'est ironique que Métaoui ose saluer "le rare média en France qui ose critiquer Sarkozy" (sic), alors qu'aucun média en Algérie n'ose critiquer la visite de Rumsfled en Algérie et la coopération entre le régime algérien et les terroristes de la Maison Blanche. Encore moins Métaoui.

Métaoui, qui boit les paroles de Rodman comme du petit lait et béni la visite de Rumsfeld ose aussi critiquer la position atlantiste de Sarkozy, position qui est finalement la position naturelle d'une certaine droite atlantiste en France. Critiquer Sarkozy qui soutient le droit d'Israèl à se défendre (éréfence à l'agression contre le Liban en été 2006), alors que l'on s'applatit devant Rodman, sous-secrétaire d'Etat à la Défense d'un pays qui a mis en place un gigantesque pont aérien pour approvisionner Israel en armes, et des plus sophistiquées, pendant cette même guerre contre le Liban, il faut oser le faire. Il ose même reprocher à Sarkozy de déclarer que les Etats Unis ets un pays avec lequel la France coopère dans la lutte anti-terroriste. Que fait Rumsfeld en Algérie ya si Metaoui ? Donner ce genre de leçons à Sarkozy, quel culot !!
Comment un journaliste un peu sérieux et professionnel peut-il une seconde reproduire une déclaration comme "
Le nucléaire algérien ne pose pas de problème" sans rappeller tous les revirements effectués par les Etats-Unis contre leurs anciens alliés. Le nucléaire iranien aussi ne posait pas de problème quand l'Iran était une dictature (au temps du Shah) alliée aux USA. Saddam, son armement, sa supérmatie militaire et le fait de gazer les kurdes ne posaient pas non plus de problèmes quand l'Irak était utilisé pour faire la guerre à l'Iran et qu'il ne voulait pas s'affirmer indépendant.
Quelques fois, le fait de reproduire les paroles sans les questionner mène au ridicule. Le ministre algérien des Affaires étrangères vient de déclarer, justement à l'occasion de la visite de Karen Hughes que le gouvernement algérien était contre l'implantation de base militaires en Algérie, que c'était une question de souverainté. Alors que Fayçal Métaoui dans son article nous servait les paroles de Rodman comme ça sans nullement les remettre en question : "
Les Etats-Unis ne veulent pas installer des bases militaires ni en Algérie ni dans toute la région, Sahel y compris". Concernant l'Iran, Karl Rove, l'ancien conseiller de Bush (son éminence grise) a déclaré récemment que les USA avait reçu des offres de négociation de la part de l'Iran en 2003 et que les néo-cons de la Maison-Blanche les avaient refusé. Mais bon, en Algérie on préfère croire les paroles de tortionnaires.
Le même Métaoui écrit (en
juillet 2006) pourtant un article sur la torture qui serait toujours existante en Algérie dans le cadre de la lutte anti-terroriste, commentant un rapport d'Amnesty International.

L'exemple de Fayçla Métaoui, qui est quand même rédacteur en chef à El Watan, n'est pas le seul, mais il est très révélateur. Il se trouve que c'est la lecture de ses deux articles (du 7 novembre et du 11 novembre 2006 sur Rodman et Sarkozy) qui font que je le cite en exemple. La lecture des articles sur la visite récente de Karen Hughes m'ont décidé finalement à écrire tout ça.
Y'en a marre de tous ces démocrates et esprits soit-disant indépendants auto-proclamés

Le prochain journaliste que me parlera de presse indépendante en Algérie, je le bloggue. lol