Pendant ce temps
Le négationnisme colonial ( Janvier 2005)
C'est sous ce titre d'un chercheur-historien, Olivier Le Cour Grandmaison*, a publié un article ( passé largement inaperçu ) dans le Monde le 01/02/2005. Il y dénonce ce qu'il appelle donc le "négationisme colonial" qui "prospère allègrement" selon ses mots :
(...) Mercredi 5 mars 2003. Conformément aux règles de la procédure législative, la présidence de l'Assemblée nationale enregistre ce jour-là la proposition de loi n° 667 déposée par de nombreux députés. Parmi eux se trouve Philippe Douste-Blazy, aujourd'hui ministre de la santé.
Les attendus de cette loi, comme le texte lui-même, sont brefs ; ils sont ainsi rédigés : "L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête coloniale, de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Evian en 1962. Pendant cette période, la République a cependant apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes et de femmes, souvent de condition modeste, venus de toute l'Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. C'est en grande partie grâce à leur courage et leur goût d'entreprendre que le pays s'est développé. C'est pourquoi (...) il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l'œuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes qui par leur travail et leurs efforts, et quelquefois au prix de leur vie, ont représenté pendant plus d'un siècle la France de l'autre côté de la Méditerranée."
Suit l'article unique de cette proposition de loi, présenté par Jean Leonetti, député UMP des Alpes-Maritimes : "L'œuvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue." Sereinement exprimé au cœur des institutions par des parlementaires sûrs de leur fait et de leur bon droit, ce stupéfiant négationnisme soutient une histoire édifiante que les signataires de ce texte voudraient, en plus, sanctionner par un vote pour en faire une "vérité" officielle engageant la nation et l'Etat.(...)
Je reconnais que cela m'a fait un choc. Pour la seconde fois. J'étais tombé sur cette proposition de loi (allez-y voir si vous y trouvez votre député) il y a à peu près une année et j'avais trouvé ça d'une obcénité sans pareil. Vouloir nier ainsi des massacres collectifs, des millions de morts, des expropriations, le maintien de populations entières dans des statuts de sous-hommes, c'est une insulte à l'être humain. Mais comme je n'avais pas vu ou lu quoi que ce soit sur cette proposition de loi, je m'étais dit que c'était tellement abberrant qu'elle avait été oubliée, que ces promotteurs avaient eu la décence de la retirer. Quelle fût donc mon étonnement et ma colère en voyant qu'il n'en était rien.
Il parait même que sauf embûches de dernière minute qu'elle va être adoptée prochainement.
Voilà que le discours de hommes politiques ne suit pas leurs actes. On sait que c'est toujours le cas. Mais tranformer l'aventure coloniale en mission de bienfaisance ce n'est ni plus ni moins qu'un négationisme honteux et un crime contre l'histoire de l'humanité :
(...)Oubliés donc les centaines de milliers de morts, civils pour la plupart, tués par les colonnes infernales de Bugeaud et de ses successeurs entre 1840 et 1881, entraînant une dépopulation aussi brutale que spectaculaire au terme de laquelle près de 900 000 "indigènes", comme on disait alors, disparurent. Oubliées les razzias meurtrières et systématiques, et les spoliations de masse destinées à offrir aux colons venus de métropole les meilleures terres. Oublié le code de l'indigénat, ce monument du racisme d'Etat, adopté le 28 juin 1881 par la IIIe République pour sanctionner, sur la base de critères raciaux et cultuels, les "Arabes" soumis à une justice d'exception, expéditive et dérogatoire enfin à tous les principes reconnus par les institutions et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Oubliés les massacres de Sétif et Guelma perpétrés, le 8 mai 1945, par l'armée française avec le soutien de l'ensemble des forces partisanes de l'époque, Parti communiste compris, le jour même où le pays fêtait dans l'allégresse sa libération. Oubliés les 500 000 morts, les 3 000 disparus - ce dernier chiffre est équivalent à celui des desaparecidos victimes de la dictature du général Pinochet - et les milliers de torturés de la dernière guerre d'Algérie.(...)
Alors, je me pose plein de questions ( j'aime bien me poser des questions ) :
Est-ce qu'une proposition de loi sur les "bienfaits" du stalinisme passerait ?
Est ce que une proposition de loi sur les "bienfaits" du nazisme déposée par le FN passerait ? On a vu ce que ses déclarations sur la prétendue "occupation allemande de la France pas si inhumaine que ça" a déclenché?
Même, sans aller trop loin, est-ce qu'un proposition de loi sur les "bienfaits" de l'existence du FN, qui pourtant n'est responsable d'auncun crime collectif, d'aucun génocide, ni de massacres, passerait ?
Je mettrais ma main au feu, que parmi les députés porteurs de ce projet de loi, il y en a qui portent aussi le projet de loi ( ou c'est déjà une loi votée je crois ) dénonçant le génocide arménien. Oui, les arméniens ont été tués par des turcs et musulmans, pas par des colons européens civilisateurs ( sic )
*Olivier Le Cour Grandmaison enseigne à l'université d'Evry-Val-d'Essonne et au Collège internationnal de philosophie.
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