Amalgames
[Via Le Monde] (...) Mahmoud Abbas, qui est le grand favori de l'élection présidentielle palestinienne, a en effet qualifié mardi Israël d'"ennemi sioniste" après la mort de sept Palestiniens tués par l'armée israélienne dans la bande de Gaza.
Les Etats-Unis ont critiqué mercredi ces déclarations affirmant que ce genre de propos ne contribuait pas à un rapprochement avec Israël. "Nous trouvons un tel langage dérangeant, et pensons qu'il n'a pas sa place dans un processus de reprise de dialogue et de confiance entre Israéliens et Palestiniens", a déclaré le porte-parole adjoint du département d'Etat, Adam Ereli. "Cela n'est certainement pas utile, et ne convient pas pour travailler à une améliorer les relations" entre les deux camps, a-t-il ajouté.
M. Ereli, interrogé lors du point de presse quotidien du ministère des affaires étrangères américain, n'a pas voulu se prononcer sur la question de savoir si de tels propos relevaient de l'antisémitisme.
Un rapport du département d'Etat publié mercredi définit comme antisémites les propos contre Israël reflétant des préjugés ou des calomnies contre les juifs ou le judaïsme.(...)
Ils sont vraiment forts ces néocons. Ils trouvent une "tel langage dérangeant" et ne favorisant pas un processus de dialogue. Par contre, des tirs de missiles sur des civils, des démolitions de maisons, des couvre-feu, des assassinats de fillettes, ça ce n'est pas dérangenat du tout, et on se demande si ce n'est pas des actes de cette nature qui favoriserait le dialogue. Sept palestiniens tués par l'armée israélienne pendant que Mahmoud Abbas visitait Gaza, et tout ce que les américains trouvent de dérangeant, c'est des paroles de palestinien. Ah, ces salauds de palestiniens, ils ne savent pas tenir leur langue. Ils veulent vraiment pas la paix. Pendant ce temps là, les soldats israéliens eux, ne savent pas tenir leur gachette.
Et ce n'est pas tout, il s'agit encore d'examiner si ces propos ne sont pas "antisémites". Et voilà qu'on en arrive à l'amalgame entre juifs et sionistes, entre judaisme et sionisme. Exactement dans la ligne des propositins du fameux rapport Rufin sur le racisme :
(...) La seconde erreur majeure du rapport Rufin consiste à assimiler antisémitisme, « antisionisme radical » et critique de la politique du gouvernement israélien, pour placer sur le banc des accusés « l’extrême gauche altermondialiste et verte ». Cette analyse n’a guère de rapport avec les faits :
- la référence même au sionisme est discutable. Le mouvement créé par Theodor Herzl en 1897 se fixait en effet pour objectif l’établissement d’un Etat juif. Or, depuis le 14 mai 1948, Israël existe. Ce n’est donc plus du sionisme qu’il s’agit, mais d’un Etat, dont, comme tous les Etats, la politique intérieure et extérieure peut être analysée et, le cas échéant, critiquée. D’autant qu’aucune force politique, en France, ne remet en question son existence. Objets d’étude – passionnant – pour l’historien, le mouvement et l’idéologie sionistes sont moins utiles pour décrypter la politique du général Ariel Sharon que l’analyse de l’économie, de la société et des institutions israéliennes dans leurs contradictions ;
- de surcroît, créer un nouveau concept ne suffit pas à donner corps à la réalité qu’il prétend exprimer. De l’« antisionisme radical » inventé pour les besoins de ce rapport, nul, ou presque, ne se réclame en France. Une poignée de négationnistes et quelques groupes islamistes intégristes ne forment pas un courant politique. Quant à l’agression commise contre des jeunes porteurs de kippa lors d’une manifestation contre la guerre d’Irak, aux banderoles mettant l’étoile de David sur le même plan que la croix gammée ou à la diffusion de textes antisémites de l’écrivain israélien Israël Shamir, ce sont là des faits qui ont été condamnés à juste titre par tout le mouvement pacifiste ;
- le pire vient ensuite : à cet « antisionisme radical », Jean-Christophe Rufin assimile, par cercles concentriques, tous ceux qui critiquent la politique du gouvernement israélien, comme si, par là même, ils se prononçaient pour la disparition de l’Etat d’Israël. L’écrasante majorité d’entre eux – dont, bien sûr, Le Monde diplomatique - considèrent, au contraire, le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël comme une des conditions sine qua non d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Ce glissement sémantique est donc à la fois absurde et scandaleux. Dénoncer la guerre génocidaire menée par Vladimir Poutine en Tchétchénie, est-ce vouloir la disparition de la Russie ? S’en prendre à l’action internationale de George W. Bush, est-ce prôner la dissolution des Etats-Unis ? Condamner le récent putsch de l’Elysée en Polynésie, est-ce vouloir raser la France ? Il faudrait, en revanche, que Rufin explique pourquoi, selon lui, Israël serait le seul Etat au monde qui pourrait bafouer impunément, depuis des décennies, les résolutions des Nations unies.
Cet exercice linguistico-politique est d’ailleurs parfaitement vain. Car Jean-Christophe Rufin, reprenant les analyses de la CNCDH, explique à propos des auteurs d’actes antisémites : « La partie la plus importante d’entre eux ne peut être cataloguée ni à l’extrême droite ni parmi les délinquants connus des quartiers difficiles. » Et il ajoute : « Sur les jeunes interpellés qui sont issus des quartiers sensibles, seul un nombre relativement faible est d’origine maghrébine. Beaucoup d’autres sont originaires de pays sans lien avec la question israélo-arabe, ce qui rend déjà moins “naturelle” leur identification éventuelle à la cause palestinienne. »
Schizophrène, Jean-Christophe Rufin n’en propose pas moins au Parlement de voter une nouvelle loi pour « punir ceux qui porteraient sans fondement à l’encontre de groupes, d’institutions ou d’Etats des accusations de racisme et utiliseraient à leur propos des comparaisons injustifiées avec l’apartheid ou le nazisme. »
Qualifier la politique israélienne de nazie n’a évidemment aucun sens : aussi insupportable que soit le sort des populations palestiniennes, notamment depuis quatre ans, il n’a rien de commun avec celui des victimes juives, tziganes et slaves du génocide nazi. La référence à l’apartheid a plus d’arguments, s’agissant de la Cisjordanie et de la bande de Gaza où les 250 000 colons juifs jouissent de droits déniés à 3,5 millions de Palestiniens, à commencer par celui de voter – mais, comme un article de Leila Farsakh l’a montré, le système d’occupation diffère, sur plusieurs points, de l’apartheid pratiqué autrefois en Afrique du Sud.
Mais la vraie question est ailleurs : Jean-Christophe Rufin pense-t-il vraiment que ce soit à la justice de trancher de tels débats ? Il est quand même paradoxal que l’auteur de L’Empire et les nouveaux barbares se fasse le héraut du délit d’opinion (...)
Entre temps, il paraît que Jean-Christophe Rufin est revenu sur ces propositions. Mais jamais dans l'histoire des hommes, on a fait autant d'efforts pour détourner l'attention des vrais agresseurs, des vrais occupants et des vrais colonisateurs pour faire porter le blâme sur les victimes.
Les Etats-Unis ont critiqué mercredi ces déclarations affirmant que ce genre de propos ne contribuait pas à un rapprochement avec Israël. "Nous trouvons un tel langage dérangeant, et pensons qu'il n'a pas sa place dans un processus de reprise de dialogue et de confiance entre Israéliens et Palestiniens", a déclaré le porte-parole adjoint du département d'Etat, Adam Ereli. "Cela n'est certainement pas utile, et ne convient pas pour travailler à une améliorer les relations" entre les deux camps, a-t-il ajouté.
M. Ereli, interrogé lors du point de presse quotidien du ministère des affaires étrangères américain, n'a pas voulu se prononcer sur la question de savoir si de tels propos relevaient de l'antisémitisme.
Un rapport du département d'Etat publié mercredi définit comme antisémites les propos contre Israël reflétant des préjugés ou des calomnies contre les juifs ou le judaïsme.(...)
Ils sont vraiment forts ces néocons. Ils trouvent une "tel langage dérangeant" et ne favorisant pas un processus de dialogue. Par contre, des tirs de missiles sur des civils, des démolitions de maisons, des couvre-feu, des assassinats de fillettes, ça ce n'est pas dérangenat du tout, et on se demande si ce n'est pas des actes de cette nature qui favoriserait le dialogue. Sept palestiniens tués par l'armée israélienne pendant que Mahmoud Abbas visitait Gaza, et tout ce que les américains trouvent de dérangeant, c'est des paroles de palestinien. Ah, ces salauds de palestiniens, ils ne savent pas tenir leur langue. Ils veulent vraiment pas la paix. Pendant ce temps là, les soldats israéliens eux, ne savent pas tenir leur gachette.
Et ce n'est pas tout, il s'agit encore d'examiner si ces propos ne sont pas "antisémites". Et voilà qu'on en arrive à l'amalgame entre juifs et sionistes, entre judaisme et sionisme. Exactement dans la ligne des propositins du fameux rapport Rufin sur le racisme :
(...) La seconde erreur majeure du rapport Rufin consiste à assimiler antisémitisme, « antisionisme radical » et critique de la politique du gouvernement israélien, pour placer sur le banc des accusés « l’extrême gauche altermondialiste et verte ». Cette analyse n’a guère de rapport avec les faits :
- la référence même au sionisme est discutable. Le mouvement créé par Theodor Herzl en 1897 se fixait en effet pour objectif l’établissement d’un Etat juif. Or, depuis le 14 mai 1948, Israël existe. Ce n’est donc plus du sionisme qu’il s’agit, mais d’un Etat, dont, comme tous les Etats, la politique intérieure et extérieure peut être analysée et, le cas échéant, critiquée. D’autant qu’aucune force politique, en France, ne remet en question son existence. Objets d’étude – passionnant – pour l’historien, le mouvement et l’idéologie sionistes sont moins utiles pour décrypter la politique du général Ariel Sharon que l’analyse de l’économie, de la société et des institutions israéliennes dans leurs contradictions ;
- de surcroît, créer un nouveau concept ne suffit pas à donner corps à la réalité qu’il prétend exprimer. De l’« antisionisme radical » inventé pour les besoins de ce rapport, nul, ou presque, ne se réclame en France. Une poignée de négationnistes et quelques groupes islamistes intégristes ne forment pas un courant politique. Quant à l’agression commise contre des jeunes porteurs de kippa lors d’une manifestation contre la guerre d’Irak, aux banderoles mettant l’étoile de David sur le même plan que la croix gammée ou à la diffusion de textes antisémites de l’écrivain israélien Israël Shamir, ce sont là des faits qui ont été condamnés à juste titre par tout le mouvement pacifiste ;
- le pire vient ensuite : à cet « antisionisme radical », Jean-Christophe Rufin assimile, par cercles concentriques, tous ceux qui critiquent la politique du gouvernement israélien, comme si, par là même, ils se prononçaient pour la disparition de l’Etat d’Israël. L’écrasante majorité d’entre eux – dont, bien sûr, Le Monde diplomatique - considèrent, au contraire, le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël comme une des conditions sine qua non d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Ce glissement sémantique est donc à la fois absurde et scandaleux. Dénoncer la guerre génocidaire menée par Vladimir Poutine en Tchétchénie, est-ce vouloir la disparition de la Russie ? S’en prendre à l’action internationale de George W. Bush, est-ce prôner la dissolution des Etats-Unis ? Condamner le récent putsch de l’Elysée en Polynésie, est-ce vouloir raser la France ? Il faudrait, en revanche, que Rufin explique pourquoi, selon lui, Israël serait le seul Etat au monde qui pourrait bafouer impunément, depuis des décennies, les résolutions des Nations unies.
Cet exercice linguistico-politique est d’ailleurs parfaitement vain. Car Jean-Christophe Rufin, reprenant les analyses de la CNCDH, explique à propos des auteurs d’actes antisémites : « La partie la plus importante d’entre eux ne peut être cataloguée ni à l’extrême droite ni parmi les délinquants connus des quartiers difficiles. » Et il ajoute : « Sur les jeunes interpellés qui sont issus des quartiers sensibles, seul un nombre relativement faible est d’origine maghrébine. Beaucoup d’autres sont originaires de pays sans lien avec la question israélo-arabe, ce qui rend déjà moins “naturelle” leur identification éventuelle à la cause palestinienne. »
Schizophrène, Jean-Christophe Rufin n’en propose pas moins au Parlement de voter une nouvelle loi pour « punir ceux qui porteraient sans fondement à l’encontre de groupes, d’institutions ou d’Etats des accusations de racisme et utiliseraient à leur propos des comparaisons injustifiées avec l’apartheid ou le nazisme. »
Qualifier la politique israélienne de nazie n’a évidemment aucun sens : aussi insupportable que soit le sort des populations palestiniennes, notamment depuis quatre ans, il n’a rien de commun avec celui des victimes juives, tziganes et slaves du génocide nazi. La référence à l’apartheid a plus d’arguments, s’agissant de la Cisjordanie et de la bande de Gaza où les 250 000 colons juifs jouissent de droits déniés à 3,5 millions de Palestiniens, à commencer par celui de voter – mais, comme un article de Leila Farsakh l’a montré, le système d’occupation diffère, sur plusieurs points, de l’apartheid pratiqué autrefois en Afrique du Sud.
Mais la vraie question est ailleurs : Jean-Christophe Rufin pense-t-il vraiment que ce soit à la justice de trancher de tels débats ? Il est quand même paradoxal que l’auteur de L’Empire et les nouveaux barbares se fasse le héraut du délit d’opinion (...)
Entre temps, il paraît que Jean-Christophe Rufin est revenu sur ces propositions. Mais jamais dans l'histoire des hommes, on a fait autant d'efforts pour détourner l'attention des vrais agresseurs, des vrais occupants et des vrais colonisateurs pour faire porter le blâme sur les victimes.
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