Thursday, April 23, 2009

Claude Lévi-Strauss. Allah le bénisse

(...) Le problème qui se pose à nous alors est celui-ci : si l'on parle de « crise systémique », de quel système s'agit-il ? Du néo-libéralisme en tant qu'il serait une dérive (ou une expression trop directe) du capitalisme ? Ou du capitalisme lui-même ?

Dans le premier cas, on retrouve encore une fois François Fourquet : "Il n’y a pas deux civilisations, d’une part la civilisation libérale ou néolibérale, et d’autre part une civilisation interventionniste, dirigiste ou « fordiste », comme la nommeraient nos amis régulationnistes (s’ils adoptaient la notion de civilisation), qui a fonctionné de la première guerre mondiale aux années 1970. Il n’y a qu’une seule civilisation, la nôtre, tantôt libérale et tantôt dirigiste ; libéralisme et dirigisme sont deux formes d’organisation que la civilisation occidentale contient en puissance depuis le Moyen Age ; tantôt l’une s’actualise plus que l’autre, tantôt l’inverse : elles ne s’opposent pas comme deux entités fermées et séparées, mais sont deux formes sociales complices qui ont besoin l’une de l’autre pour exister." La crise va être douloureuse, l'Etat va reprendre les choses en main, et on repartira sur un cycle dirigiste - jusqu'à une prochaine crise.

Dans le second cas, il est bien évident que l'individu moderne comme l'Etat seront aussi touchés que le capitalisme, puisqu'ils lui sont essentiellement liés. Laissons le premier [2] et concentrons-nous sur le second : en tant qu'émanation de la société, ce qu'il est aussi, l'Etat a un rôle à jouer, notamment dans les questions de redistributions des richesses. Mais en tant que partie intégrante de la société marchande capitaliste, il est aussi à la racine de la crise actuelle (toujours dans l'hypothèse d'une « crise systémique » du capitalisme lui-même), et est donc à la fois partie du problème et éventuel facteur de solution : toute question de compétence mise à part, on comprend que nos gouvernants soient quelque peu désorientés.

Ne sachant pas - et qui le sait ? - dans quel cas de figure nous nous trouvons aujourd'hui (car la phrase d'Adorno et Horkheimer a tout de même de fortes chances d'être tragiquement vérifiée un jour), la crise du néo-libéralisme ou la crise du capitalisme, nous ne pousserons pas plus loin la prospective. Elle implique qui plus est que j'avance un peu plus de preuves que les citations de MM. Fourquet et Gauchet quant à cette consubstantialité de l'Etat et de l'économie capitaliste marchande, et que j'explore plus avant ses conséquences théoriques et pratiques.

Ceci dit, et pour conclure, il faut rappeler, dans un cas comme dans l'autre, que si doit se mettre en place une « gouvernance mondiale » - c'est-à-dire un Etat mondial, mais « gouvernance » est censé faire moins peur, être plus cool, ce problème de la nature de l'Etat moderne se reposera vite.
Peut-être faut-il ici rappeler ces propos déjà cités de Claude Lévi-Strauss, Allah le bénisse :

"Il y a déjà treize siècles, l'Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de la vie humaine : technique, économique, sociale, spirituelle, que l'Occident ne devait retrouver que tout récemment, avec certains aspects de la pensée marxiste et la naissance de l'ethnologie moderne. On sait quelle place prééminente cette vision prophétique a permis aux Arabes d'occuper dans la vie intellectuelle du Moyen Age."


Si l'intensification des échanges, de toutes sortes, entre cultures, doit un jour déboucher sur quelque chose comme un Etat mondial, il est souhaitable - et c'est une raison de plus pour que ce ne soient pas des occidentaux qui s'en occupent... - que ceux qui le mettront au point gardent en tête cette « solidarité de toutes les formes de la vie humaine » - qu'ils soient en somme, pour revenir à notre point de départ, des holistes assumés. Mais cela signifierait la fin de l'Etat moderne en tant que séparé de la société (même s'il n'en est pas séparé complètement dans les faits, même s'il en est aussi l'émanation), cela signifierait une rupture anthropologique...

C'est en ce sens que j'ai pu récemment prôner « une conversion à l'Islam massive, mondiale, universelle ! » pour nous sauver de la crise : l'Islam est conscient de la non-séparation de l'Etat du reste de la société, et il est en expansion continue : il ne s'agirait que de hâter un peu le mouvement, pour le bien de tous... Nous n'aurons qu'à picoler en cachette ! (...)


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