Sunday, March 18, 2007

Identité nationale : Les immigrés doivent-ils être plus royalistes que le roi ?

Nous somme tous des fragments (...). Nous sommes des ébauches. Georg Simmel

Naïf comme je suis, j'ai toujours cru qu'en démocratie, l'égalité entre les personnes était garantie par le droit. Le droit de chaque pays, étant lui-même inspiré de valeurs que partagent les citoyens de ce pays. Par exemple, on énonce comme valeur l'égalité entre l'homme et la femme dans un przmier temps et après on fait des lois qui garantissent cette égalité dans les faits. Souvent, de préférence, il faut que ces lois soient appliquées pour que ça ait un minimum de sens. De tout ça découle un principe de base : l'égalité de tous devant la loi. Je crois qu'en gros, c'est ça.
Cependant, ces derniers temps, Sarkozy a un peu brouillé cette vision. Avec son minsitère de l'immigration et de l'identité nationale et surtout avec les explications qu'il en donne, j'ai été trop bousculé, installé comme j'étais dans ma conception naïve de la démocratie.
La première reflexion qui m'est venue à l'esprit, c'était de me dire que puisqu'il peut exister un ministère de l'identité nationale, il pourrait très bien exister un ministère du calcul et de l'arithmétique ou un ministère de la lecture, et que le ministère de l'éducation nationale pourrait très bien s'appeller ministère des sciences de l'éducation ou ministère de la pédagogie. Tout ça, ça a des airs du noms de ministères soviétiques, n'est-ce pas ?. Car pour moi, la notion d'identité peut être une notion philosophique, anthropologique, psychologique, etc ... Et je dois dire que j'ai été très content de lire ce que Todorov a écrit sur le sujet :
(...) Dans son roman 1984, Orwell décrit plusieurs ministères institués dans le pays totalitaire Océania : le ministère de la vérité, celui de la paix, de l'amour, de l'abondance. Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de la République, vient d'allonger cette liste en promettant de créer, s'il était élu, un "ministère de l'immigration et de l'identité nationale". Orwell précise que les nouveaux ministères sont désignés en "novlangue" par des abréviations : Miniver, Miniamour, et ainsi de suite ; c'est à cette série qu'appartiendrait le nouveau Minident.
Pourquoi jugeons-nous indésirables les ministères imaginés par Orwell ? Non parce que nous sommes contre la vérité ou l'amour. Mais nous pensons que ces grandes catégories ne relèvent pas de l'action gouvernementale. C'est aux scientifiques et aux journalistes qu'il faut laisser la libre recherche de vérité ; c'est à chaque individu de s'occuper de ses affaires amoureuses. Ni le gouvernement ni le Parlement n'ont à s'en mêler. C'est en cela que notre démocratie est libérale : l'Etat ne contrôle pas entièrement la société civile ; à l'intérieur de certaines limites, chaque individu reste libre. Il en va ainsi de l'identité nationale : ce n'est pas un hasard si, pour l'instant, aucune démocratie libérale n'a confié sa protection à un ministère. (...)
Comment Sarkozy explicite-il tout ça ? En répétant qu'il n'y a pas de place pour ceux qui ne respectent pas (sic) les valeurs nationales. Et il précise de qui il veut parler : ceux qui égorgent les moutons dans les salles de bains, ceux qui excisent, ceux qui sont polygames, ceux qui marient les filles de force, etc... Etonnant n'est-ce pas ? C'est très ciblé comme sources de menaces sur les valeurx républicaines. Au passage, il a oublié les patrons qui paient les femmes 25% de moins que les hommes. Il oublié de parler qu'une femme meurt tous les trois jours en France du fait de violences conjugales (ou croit-il que c'est du seul fait des musulmans). Mais dans mon raisonnement je n'oublie pas ma conception naïve de la démocratie et de l'état de droit. Polygamie par exemple : Est-ce qu'il existe en France une loi qui interdit à un homme de ocucher avec plus d'une femme et de lui faire des enfants ? A ma connaissance, non. La seule loi qui existe est celle de la monogamie. On ne peut pas se marier administrativement avec deux femmes (ou avec deux hommes). Mais le reste, chacun est libre d'avoir autant de partenaires qu'il veut. Est-ce qu'il y a une loi qui interdit à un homme de vivre sous le même toit que trois ou quatres femmes avec qui il couche ( ou la même chose pour une femme) ? J'en ai pas connaissance.
L'Etat puni à partir du moment ou la loi n'est pas respecté. La justice ets rendue au nom de la loi ( de l'article xxx du code machin... ) et par au nom des valeurs. Il y a des milliers de français qui pensent que les hommes sont supérieurs aux femmes, et qu'ils doivent gagner plus, et pourtat il y a aucune loi qui peut les punir. Et la loi est la même pour tous : nationaux et immigrés. Comment il va faire Sarkozy pour obliger les immigrés à respecter les valeurs, puisque des français ne les respectent pas ? Les immigrés doivent respecter la loi, tout comme les français d'ailleurs. Il est interdit d'égorger un mouton dans la salle de bain, au nom de la loi (hygiène, santé, etc..) et pas au nom d'une valeur.

Bien sûr, j'ai aussi pensé au concept d'identité. J'ai eu à l'esprit l'identité narrative de Paul Ricoeur :
(...) Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Toute réflexion individuelle ou collective sur cette question semble vouée à produire une antinomie. D'un côté, l'identité personnelle (le cher Moi) ou collective (par exemple la Nation) semble si profondément inscrite en nous qu'elle ne paraît souffrir aucune discussion. Mais, dès lors qu'on tente de lui donner un contenu, c'est l'impasse ; toute définition paraît réductrice, infidèle ou exclusive : le cher Moi devient égoïsme ou mauvaise foi ; l'appartenance nationale devient nationalisme, voire chauvinisme. Bref, l'identité est soit trahie, soit néfaste quand on tente de l'identifier. D'où une seconde attitude possible : le scepticisme. Ce moi profond, pourtant si évident et si intime, est en réalité opaque et inconnu. N'est-ce pas une illusion ? Mais comment pourrais-je y renoncer ?
Cet affrontement entre un dogmatisme du moi, bien fâcheux, et un complet scepticisme, bien difficile à tenir, a traversé toute l'histoire de la pensée. Héraclite y voyait la tâche même de la philosophie : « Je me suis cherché moi-même », écrivait-il, avant le fameux « Connais-toi toi-même » socratique et l'interpellation inquiète de saint Augustin dans ses « Confessions » : « Que suis-je, mon Dieu ? » Cette interrogation trouve de nos jours une urgence plus grande et peut-être plus décisive : dans nos sociétés individualistes, en effet, l'exigence d'être soi-même est devenue plus impérative que jamais. Be yourself ! Sans doute ; encore faut-il savoir quel est ce moi que l'on doit être.

La notion d'identité narrative que thématise Paul Ricoeur représente une solution élégante et réellement profonde à cette cruciale perplexité. On peut la résumer en une formule : « Je suis ce que je me raconte. » Qu'apporte le récit à ce problème ? Beaucoup, en vérité. D'abord, il nous sort d'une conception fixiste ou figée de l'identité : celle-ci n'est ni totalement à découvrir (comme une chose pré-donnée) ni seulement à inventer (comme un artifice), elle réside dans un mélange de détermination, de hasard et de choix, de mémoire, de rencontres et de projets. Le récit a cette vertu de remettre tous ces éléments en mouvement et en relation afin d'en faire une trame. Ensuite, un récit ne se contente pas en réalité de raconter des faits. Il les interprète, les argumente, les reconstruit. Il sélectionne et travaille les moments pour en faire une histoire qui a un sens et une efficacité. (...)

Suivons aussi ce que dit Todorov sur la proposition de Sarkozy : (...) Qu'entend-on par cette formule : "identité nationale" ? Il faut rappeler que, non exceptionnellement, mais partout et toujours, il s'agit d'une identité mouvante, en constante évolution. Seules les nations mortes ont acquis une identité immuable. La société française de 2007 n'a que peu de traits communs avec celle de 1907, et encore moins avec celle de 1707. Si l'identité ne devait pas changer, la France ne serait pas devenue chrétienne, dans un premier temps ; laïque, dans un deuxième.
L'identité évolue, d'abord, parce que les intérêts des groupes qui la composent ne coïncident pas entre eux, et que ces intérêts forment des hiérarchies instables. Par exemple, l'octroi du droit de vote aux femmes en 1944 leur a permis de participer activement à la vie publique du pays : l'identité nationale en a été transformée. De même lorsque, vingt-trois ans plus tard, les femmes ont obtenu le droit à la contraception : cela a entraîné une nouvelle mutation de l'identité nationale.
Celle-ci évolue aussi en raison du contact avec d'autres populations : américanisation des moeurs, européanisation des institutions, ou encore, aujourd'hui, présence de minorités significatives venues du Maghreb, d'Afrique noire, d'Europe de l'Est ou d'ailleurs. Les migrations n'ont, elles non plus, rien d'exceptionnel, puisqu'on sait qu'un Français sur quatre a un parent ou un grand-parent immigré. Or, en proposant un ministère traitant ensemble de l'identité nationale et de l'immigration, le candidat à la présidentielle suggère un rapport négatif entre les deux : l'immigration est ce dont il faut protéger l'identité française. (...)

En lisant ça, on se rend vite compte de la bêtise de la chose. Mais n'empêche, il faut caresser le peuple dans le sens du poil. Après les réactions suscitées contre son projet, Nicolas Sarkozy et son équipe avaient envisagé changer la dénomination en "Ministère de l'immigration et de l'identité républicaine" je crois. Cette nouvelle appellation devait être annoncée lors du meeting du candidat UMP à Caen (jeudi dernier). Ca figurait même sur le texte du discours. Mais voilà quelques heures avant un sondage sort : "55% des français se déclarent favorable à un ministère de l'identité nationale". Du coup, aucun mot du "Ministère de l'immigration et de l'identité républicaine" dans le discours de Sarkozy à Caen. Populisme vous avez dit ?

Une étude faite il y a quelques mois a montré que presque 60% (je ne sais pas si c'est le pourcentage exact) des français se déclaraient "racistes ou un peu racistes". Il y a bien en France des lois qui punissent le racisme. Ces lois sont bien sûr inspirées des valeurs républicaines de la France, pays des droits de l'homme. Sarkozy envisage-t-il de faire traduire 60% des français devant les tribunaux ? Si maintenant, un immigré déclare que sa fille n'a pas le droit de choisir son mari, va-t-il être traduit en justice ? Si c'est oui, les 60% de français qui se déclarent racistes doivent l'être aussi.
Je laisse Todorov conclure :
(...) Ce n'est pas parce qu'elle est contraire à l'identité française que la soumission des femmes est condamnable. C'est parce qu'elle transgresse les lois ou les principes constitutionnels en vigueur. L'identité nationale, elle, échappe aux lois, elle se fait et défait quotidiennement par l'action de millions d'individus habitant ce pays, la France.(...)

Ca craint en France en 2007 pour de vrai.