Extension du domaine de la police
(...) Faut-il encore en faire le tour, de ce langage vide ? Ce qui se passe en France depuis le 21 avril dernier exprime et précipite une telle débâcle morale que le goût manque même pour décrire les rouages, la généalogie patiente, les connivences silencieuses de cet événement. Pour dire combien il était prévisible, d’abord, à qui observe sérieusement la montée inexorable du vote Le Pen depuis presque vingt ans, sa diffusion dans les familles et dans les institutions locales, et à qui ressent la perte de crédit elle aussi inexorable d’un discours politique de plus en plus désespérant. Dire aussi combien la prétendue « protestation populiste » est liée, d’emblée, à une pulsion gouvernante de l’ordre du contrôle ou de la police, dans le sens où Foucault puis Rancière ont employé ce terme. Et donc, concerne autant les « élites » que la « France d’en bas », les premières ayant adopté depuis bien longtemps les « bonnes questions » du dit populisme, à défaut d’adhérer pleinement à ses « réponses ». Ici la question a pour nom « violence », depuis au moins le rapport d’Alain Peyrefitte de 1977 sur les « réponses » qu’elle appelle, rapport auquel collaborèrent, déjà, des sommités des sciences humaines et de la psychiatrie pas toujours marquées à droite. Et l’arrivée du sauveur Sarkozy, la grande acceptabilité de sa solution finale à la question de la violence, pourrait nous inciter à relire les deux dernières décennies comme l’alignement progressif de la culture politique majoritaire sur la gestion « policière » des questions sociales. Vingt ans de pouvoir socialiste et de cohabitation auront eu l’effet de déculpabiliser, par mille maillons, la pulsion de contrôle du comportement d’autrui, jusqu’à faire sienne la notion de « tolérance zéro », brandie par Allègre avant Ferry. La « question de la violence » est l’horizon nécessaire de la décomposition du politique en police, et ceci dans tous les domaines, ce à quoi servent les adjectifs : scolaire, urbaine, familiale... jusqu’à la mise en scène d’une décivilisation généralisée appelant une restauration des « valeurs » et de « l’autorité ». Le langage même (« l’accès au symbolique ») par de nouveaux barbares nés de l’affaiblissement des pères, de la perte de la valeur travail, de l’esprit anti-autoritaire de 68, etc. (...)
Les angles morts
Les angles morts
<< Home